Nous nous concentrerons ici sur la rapide présentation de quelques demandes parentales telles qu'elles ont été relatées lors des entretiens collectifs avec les EPE et telles qu'elles ont été recensés par les fiches d'observations au quotidien. Mais aussi sur les effets de la méthodologie d'enquête adoptée.
Précisons au préalable quelques caractéristiques de la totalité des enfants fréquentant ces 12 IPE (la treizième n'a pas ici fourni de données):
- L'échantillon porte sur 1517 enfants, issus de 1242 familles. Cela représente 70,4% de l'ensemble des enfants fréquentant des IPE municipales ou subventionnées par la ville de Lausanne au 31/12/2005.
- Dans l'ensemble les IPE offrent un service de proximité. La plupart des enfants résident dans le quartier ou dans un quartier avoisinant.
- Le motif déclaré de placement est dans 90% des cas celui de l'activité professionnelle des parents, de la recherche d'emploi ou d'études.
- 61% des enfants sont de nationalité suisse par au moins un des deux parents, 39% d'enfants sont d'autres nationalités.
- L'échantillon est composé d'environ 20% de familles monoparentales.
- La moitié de l'échantillon dispose d'un revenu déterminant (pour fixer le prix de la pension) de 5'300 ;- par mois, avec toutefois de fortes disparités (le tiers de l'échantillon a un revenu n'excédant pas 4'000.-).
Rappelons que la sélection des enfants faisant l'objet d'observations était laissée à l'appréciation des équipes. On relèvera que l'échantillon retenu ressemble à grands traits à celui de l'ensemble des familles, avec toutefois une surreprésentation des familles monoparentales (25%) et des familles dont les deux parents sont étrangers (46%).
Les demandes parentales s'organisent autour de plusieurs axes. Pour des données chiffrées, nous renvoyons au rapport complet (voir infra).
Il est d'une part des demandes de conseil, de tous ordres (hygiéniques, pédagogiques, psychologiques, liés à la vie quotidienne ou à la vie conjugale) qui témoignent soit de l'état d'incertitude des familles, soit de la confiance qu'elles font aux EPE, qui deviennent ainsi des sortes de relais dans la vie de l'enfant et de sa famille. Ce phénomène ressort dans près de la moitié des fiches d'observations, et encore, durant les entretiens collectifs, nombre d'EPE nous on dit ne pas avoir consigné ce type de demandes tant elles leur paraissaient aller de soi, faire partie de leur travail. Dans un même ordre d'idées, on ajoutera ce que nous avons nommé des demandes éducatives ordinaires, qui ne feraient qu'entraîner de légers réajustements. Ainsi, tel enfant a le sommeil difficile, il devrait commencer la sieste avant les autres, telle maman ne souhaite pas que son enfant soit déguisé en "monstre", etc.
Il est des demandes (parfois implicites) relevant de difficultés d'organisation dans la vie quotidienne des familles. Et qui peuvent poser de sérieux problèmes d'organisation au sein des IPE. Ainsi l'accueil (formellement proscrit) de l'enfant malade, car les parents ne peuvent faire autrement (il s'agit ici d'une thématique lourde), les non respects du contrat (que ce soit en termes d'horaires convenus, ou de la personne chargée de conduire l'enfant dans l'IPE ou de venir l'y reprendre), les demandes de dépannage ou de changements inopinés dans l'horaire d'accueil. Ici à chaque fois, les EPE sont au front, et doivent prendre des décisions rapides, faute de quoi la situation de la famille se voit encore plus précarisée.
Il est des demandes considérées par les EPE comme relevant de spécificités culturelles, par exemple en termes d'alimentation de l'enfant, ou en termes de participation aux festivités usuelles dans l'IPE. Il est des plaintes, ou des demandes jugées excessives, ainsi punir l'enfant lorsqu'il fait des bêtises, ou le forcer à l'acquisition de la propreté. L'ensemble traduit des tensions éducatives entre les principes de la collectivité et des aspirations familiales spécifiques. Tensions que l'EPE doit aussi gérer au quotidien.
Il est encore des expressions de précarité, voire de détresse des familles ayant recours - en plusieurs sens du terme - aux IPE. Certaines catégories précédentes traduisent cette précarité, mais il en est d'autres. Qui sont plutôt implicites, souvent détectées par les EPE. Ainsi un réseau social fragile ou déficient, des soupçons (parfois avérés) de négligences voire de maltraitance, la nécessité de mobiliser une procédure de prévention, des difficultés sociales ou financières sérieuses. Or nombre de familles cumulent ce type de problèmes. Selon une modalité de calcul détaillée dans le rapport complet, il apparaît que c'est le cas de plus du tiers d'entre elles à l'examen des fiches d'observations. Des usagers d'IPE qui se voient surreprésentés parmi les ménages monoparentaux, parmi les personnes d'origines africaines, parmi les personnes au chômage, et dont les enfants fréquentent l'IPE selon l'horaire le plus grand. Autant de situations qui ne correspondent pas toujours à la conception standard de l'EPE oeuvrant au sens pour le strict bien de l'enfant.
L'EPE se voit donc parfois au milieu d'une tension entre règles institutionnelles - essentielles - et nécessité de remplir une mission de service socio-éducatif en direction des enfants mais aussi familles.
Un autre résultat de cette recherche que nous tenons à souligner tient aux effets de la méthodologie adoptée. Des entretiens collectifs ont offert aux EPE l'opportunité de socialiser leurs expériences professionnelles, qui relèvent généralement du quant-à-soi. Le recueil systématique (et coûteux en temps par les EPE) de situations quotidiennes leur a permis de s'intéresser à ce qui ne relève pas que du routinier, ou plus exactement de donner à voir que le routinier était parfois riche de sens quant à une meilleure connaissance détaillée de situations familiales pas toujours si simples.
En cela, cette recherche permettra, croyons-nous, de montrer que les EPE ont une mission socio-éducative autrement plus complexe que celle d'accueillir des enfants de parents uniformes et tout contents d'avoir trouvé une place en institution pour leur petit. Car le célébré "bien de l'enfant" ne s'accomplit pas dans un vide social.
Concilier vie familiale et vie professionnelle, certes, pour reprendre le slogan. Mais encore convient-il de se rendre compte de la complexité de cette mission. Qui met en jeu les dynamiques de fonctionnement des IPE, ce qui pose les questions de quelles marges de liberté données à chacun, de quelles dynamiques collectives, de quelles conséquences en termes de moyens octroyés aux institutions, que ce soit en termes financiers ou en termes de qualifications professionnelles.