Les valeurs dites féminines et masculines et leur impact sur la vie sociale et professionnelle des femmes

Ref. 2970

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Résumé

Le langage courant utilise souvent les termes de "valeurs féminines" pour signifier un ensemble assez flou de qualités et d'intérêts supposés "différents". Les femmes seraient plus attachées que les hommes à certaines valeurs prédominant dans la sphère privée (sensibilité, altruisme, gratuité, convivialité, qualité de la vie, primauté du relationnel), au détriment des valeurs qui régissent la sphère publique (compétitivité, rendement, efficacité, primauté du résultat). Mais, après tout, existe-t-il réellement des valeurs masculines et des valeurs féminines? Et quel sens, quel contenu faut-il donner exactement à l'expression? Les valeurs dites féminines appartiennent-elles en propre aux femmes, à l'exclusion des hommes, et inversement? Ou, au contraire, les valeurs féminines ne serviraient-elles pas plutôt à identifier une face du monde, en opposition avec l'autre face, au même titre que les deux sexes constitueraient, dans leur opposition et leur complémentarité, le noyau originel d'une appréhension binaire de notre réalité? Enfin, si valeurs sexuellement différenciées il y a, quel en est exactement leur contenu? Et y a-t-il même univocité du concept? Autrement dit, les différents acteurs sociaux donnent-ils le même sens aux mots? C'est là une première série de questions auxquelles nous nous sommes attachées. Mais nous avons aussi voulu aller plus loin, dépassant la perspective statique pour nous situer dans une optique dynamique, ce qui nous a amenées à poser une deuxième série de questions. En quoi l'opposition entre valeurs dites féminines et masculines est-elle source de conflit? En quoi ce qui est présenté comme une simple opposition entre deux mondes (le masculin et le féminin et les valeurs qui s'y rattacheraient) ne serait-il pas le reflet non d'un face à face entre "équivalents" mais d'une division du monde en dominants/dominés, chacun des deux groupes ayant, de par son histoire sociale propre, forgé ses propres valeurs, ou encore intégré les valeurs qu'on lui attribuait? Autrement dit, les valeurs dites masculines ne seraient-elles pas tout simplement les valeurs dominantes, les valeurs dites féminines (souvent décrites comme "différentes" sans qu'il soit même besoin de mentionner par rapport à quelle référence) représentant dès lors la déviance, la marginalité par rapport à un modèle ou encore, en termes plus actifs, la remise en question, la contestation du modèle dominant? II est en effet impossible de traiter les valeurs dites féminines et masculines sans tenir compte du statut différentiel des femmes et des hommes dans notre société. De façon plus ou moins manifeste selon les études, nous avons donc adopté une perspective de recherche féministe, dont l'une des caractéristiques est précisément de faire apparaître les tensions résultant de l'inégalité de statut entre les hommes et les femmes. Nous sommes parties de l'hypothèse qu'il existait aujourd'hui des systèmes de valeurs contradictoires, qui ne constituaient plus des guides d'action univoques comme cela a pu être le cas jusque dans les années 60.

Résultats

Pour résumer, nous pouvons dire que notre recherche montre que s'il existe bel et bien une croyance assez généralisée en des valeurs féminines – et donc masculines –, et que s'il y a un consensus relatif autour du contenu de ces valeurs, celles-ci peuvent être indifféremment portées par des hommes ou par des femmes sans que les uns ou les autres en perdent pour autant leur identité sexuelle et sans pour autant aboutir à une société "unisexe". Les valeurs dites masculines peuvent être considérées comme complémentaires des valeurs dites féminines si l'on se place d'un point de vue purement philosophique. Dès lors que nous réintégrons ces deux ensembles de valeurs dans un contexte social, il faut bien reconnaître que les valeurs issues d'un ancestral confinement à la sphère privée ont bien du mal à se faire une place au soleil dans une société où priment la logique économique et les valeurs marchandes qui lui sont rattachées. D'où les contradictions dans lesquelles se trouvent aujourd'hui les femmes, qui réclament tout à la fois leur intégration dans la sphère publique et la préservation d'un certain nombre de valeurs, notamment celles de la gratuité et de la réciprocité, qui régissent la sphère privée. Nous lions ces difficultés aux problèmes que pose une approche globale non pas de la "condition féminine", mais des rapports entre les hommes et les femmes, ce qui exige un saut qualitatif dans notre mode d'appréhension du monde. Or il y a une telle habitude de considérer les "problèmes des femmes" comme des problèmes sectoriels, et d'examiner séparément les difficultés qu'elles rencontrent, qu'il est ardu de présenter un discours qui ne favorise pas ces compartimentages. Cette difficulté est encore accrue par le fait que la catégorie "femmes" est éclatée non seulement en différentes classes sociales, comme celle des hommes, mais aussi en différents modèles de vie et états-civils qui donnent lieu à des discriminations différenciées. Les questions "féminines" sont porteuses d'enjeux qui ont, davantage que d'autres, soulevé au fil du temps des débats tranchés et passionnés (vote des femmes, avortement, etc.). Pourtant, les valeurs dites féminines ne constituent pas un tout homogène et identifiable a priori. II s'agit plutôt d'un ensemble d'orientations de pensée issues de la quotidienneté conflictuelle que vivent les femmes dans une société où l'image de la féminité et le rôle féminin restent étonnamment figés par rapport à une réalité changeante. L'expression et la prise en compte de ces valeurs dites féminines dans la vie sociale et professionnelle passe par la reconnaissance des femmes comme actrices sociales à part entière, dans leur diversité et dans leurs individualités respectives, mais aussi comme groupe social susceptible de complexifier notre réalité et nos représentations. Cela signifie non seulement une intégration des femmes dans les grands piliers institutionnels (économie, droit, famille, politique) mais aussi une intégration par les hommes de ce discours féminin pluriel issu de l'incessant, difficile et finalement enrichissant va-et-vient des femmes entre la sphère privée et la sphère publique.