Le langage courant utilise souvent les termes de "valeurs féminines" pour signifier un ensemble assez flou de qualités et d'intérêts supposés "différents". Les femmes seraient plus attachées que les hommes à certaines valeurs prédominant dans la sphère privée (sensibilité, altruisme, gratuité, convivialité, qualité de la vie, primauté du relationnel), au détriment des valeurs qui régissent la sphère publique (compétitivité, rendement, efficacité, primauté du résultat).
Mais, après tout, existe-t-il réellement des valeurs masculines et des valeurs féminines? Et quel sens, quel contenu faut-il donner exactement à l'expression? Les valeurs dites féminines appartiennent-elles en propre aux femmes, à l'exclusion des hommes, et inversement? Ou, au contraire, les valeurs féminines ne serviraient-elles pas plutôt à identifier une face du monde, en opposition avec l'autre face, au même titre que les deux sexes constitueraient, dans leur opposition et leur complémentarité, le noyau originel d'une appréhension binaire de notre réalité? Enfin, si valeurs sexuellement différenciées il y a, quel en est exactement leur contenu? Et y a-t-il même univocité du concept? Autrement dit, les différents acteurs sociaux donnent-ils le même sens aux mots?
C'est là une première série de questions auxquelles nous nous sommes attachées. Mais nous avons aussi voulu aller plus loin, dépassant la perspective statique pour nous situer dans une optique dynamique, ce qui nous a amenées à poser une deuxième série de questions. En quoi l'opposition entre valeurs dites féminines et masculines est-elle source de conflit? En quoi ce qui est présenté comme une simple opposition entre deux mondes (le masculin et le féminin et les valeurs qui s'y rattacheraient) ne serait-il pas le reflet non d'un face à face entre "équivalents" mais d'une division du monde en dominants/dominés, chacun des deux groupes ayant, de par son histoire sociale propre, forgé ses propres valeurs, ou encore intégré les valeurs qu'on lui attribuait? Autrement dit, les valeurs dites masculines ne seraient-elles pas tout simplement les valeurs dominantes, les valeurs dites féminines (souvent décrites comme "différentes" sans qu'il soit même besoin de mentionner par rapport à quelle référence) représentant dès lors la déviance, la marginalité par rapport à un modèle ou encore, en termes plus actifs, la remise en question, la contestation du modèle dominant?
II est en effet impossible de traiter les valeurs dites féminines et masculines sans tenir compte du statut différentiel des femmes et des hommes dans notre société.
De façon plus ou moins manifeste selon les études, nous avons donc adopté une perspective de recherche féministe, dont l'une des caractéristiques est précisément de faire apparaître les tensions résultant de l'inégalité de statut entre les hommes et les femmes.
Nous sommes parties de l'hypothèse qu'il existait aujourd'hui des systèmes de valeurs contradictoires, qui ne constituaient plus des guides d'action univoques comme cela a pu être le cas jusque dans les années 60.