Verbalisation de l'espace et fabrication du savoir: approche linguistique de la construction des objets du discours

Ref. 1686

Description générale

Période concernée

1750-1850

Région géographique

-

Informations géographiques additionnelles

Italie

Résumé

Ce travail vise à décrire les dynamiques discursives de façon à poser et à reformuler un certain nombre de problèmes en linguistique, susceptibles en outre de converger avec des questionnements issus d'autres disciplines en sciences humaines. Cette visée est menée à travers le développement de la notion d'objet de discours et sur l'analyse d'un corpus. La notion d'objet de discours renvoie à ce à propos de quoi s'organise l'activité énonciative dans les pratiques d'appréhension, de formulation et de description du monde de la part des locuteurs. Elle permet d'interroger des problèmes linguistiques concernant la gestion du topic, la structuration et la planification discursive, les processus énonciatifs, leurs marquages métadiscursifs ainsi que les processus de référenciation, terme préféré à celui de référence, orienté moins vers la relation entre les mots et les choses que vers les activités énonciatives par lesquelles le locuteur construit intersubjectivement un modèle public du monde. Ces questionnements sont menés à partir d'un corpus de relations de voyages en Italie rédigées entre 1750 et 1850. Ce corpus permet de spécifier doublement les objets de discours traités. D'une part, ils portent sur l'espace, qui n'est pas un objet de discours quelconque mais intervient, en la contraignant, dans l'organisation du discours qui le dit. La relation de voyage, décrivant des parcours, permet d'étudier les potentialités et les effets des verbalisations spatiales, dans des discours qui ne se limitent pas à être des représentations de l'espace mais qui les exploitent pour construire des espaces de représentation. D'autre part, la relation de voyage déploie des objets de discours qui sont des objets de savoir: elle est un texte qui rapporte un savoir empirique recueilli sur les lieux parcourus, sur lequel se basait jusqu'au XIXe siècle le travail des savants de cabinet en anthropologie et en géographie. Elle peut donc être lue comme un ancêtre du discours en sciences humaines, un terrain où interroger le rôle constitutif de la langue et du discours dans l'élaboration du savoir. L'analyse porte, en premier lieu, sur la façon dont le texte construit un réseau de repères énonciatifs qui permettent d'ancrer les objets de discours, d'en justifier l'introduction et le développement, de fonder leur véracité et facticité, de construire l'autorité du locuteur en tant que témoin ou expert. En deuxième lieu, est décrite la façon dont les modes de dénomination des objets de discours fonctionnent ou ne fonctionnent pas comme des catégorisations adéquates et conduisent les locuteurs à interroger l'opacité et l'altérité de la langue, ainsi que l'instabilité contextuelle des catégories, variant selon les activités et les énonciateurs. En dernier lieu, est traitée la façon dont les objets de discours ainsi repérés et nommés sont organisés en des configurations ordonnées, posant des problèmes de structuration du discours, résolus par différentes techniques exploitant les figures du parcours (principe de linéarisation de la description) ou de la carte (principe de totalisation).

Résultats

Définition, développement et analyse la notion d'"objet de discours". Cette notion renvoie à ce que l'énonciateur définit, marque et rend reconnaissable comme étant ce à propos de quoi il organise son discours. Elle est développée ici de façon à tenir compte du caractère dynamique des processus discursifs, au fil desquels l'objet de discours se transforme en relation avec le contexte, les activités linguistiques en cours et les positions de l'énonciateur, de ses co-énonciateurs et de ses énonciataires. L'analyse a permis de définir les propriétés dynamiques et instables de l'objet de discours. Description des procédures discursives par lesquelles le texte se présente comme une description adéquate et transparente de la réalité, ou qui au contraire permettent d'interroger le système de la langue comme inscrit dans une culture, mis en oeuvre par des locuteurs particuliers, à toutes fins pratiques. Identification d'opérations discursives créant et exploitant des isomorphismes entre la spatialité du texte et celle du territoire décrit: le parcours comme mode de linéarisation permet par exemple d'ordonner un territoire par un itinéraire en même temps qu'il permet d'ordonner un texte dans sa successivité (par exemple avec des marqueurs polysémiques comme: "avançons vers la prochaine ville/le prochain chapitre"; "revenons plus haut vers le sommet de la colline/le début du chapitre", etc.). Plus généralement ceci permet de définir des opérations basées sur la spatialité susceptibles d'organiser la cognition comme la langue ou le discours. Mise en relation critique de champs à la fois disciplinairement distincts et théoriquement convergents: importance de l'organisation du discours dans l'élaboration du savoir (la "facticité" des faits étant produite par des procédures de référenciation dans le discours); relations entre dénomination, activités discursives et catégorisation en psychologie cognitive (l'analyse du discours permettant de montrer que les emplois des catégories sont contextuellement situés et varient en fonction des énonciateurs), relation entre marques d'énonciation et construction de figures d'autorité, d'effets de témoignage.