Ce travail vise à décrire les dynamiques discursives de façon à poser et à reformuler un certain nombre de problèmes en linguistique, susceptibles en outre de converger avec des questionnements issus d'autres disciplines en sciences humaines. Cette visée est menée à travers le développement de la notion d'objet de discours et sur l'analyse d'un corpus.
La notion d'objet de discours renvoie à ce à propos de quoi s'organise l'activité énonciative dans les pratiques d'appréhension, de formulation et de description du monde de la part des locuteurs. Elle permet d'interroger des problèmes linguistiques concernant la gestion du topic, la structuration et la planification discursive, les processus énonciatifs, leurs marquages métadiscursifs ainsi que les processus de référenciation, terme préféré à celui de référence, orienté moins vers la relation entre les mots et les choses que vers les activités énonciatives par lesquelles le locuteur construit intersubjectivement un modèle public du monde.
Ces questionnements sont menés à partir d'un corpus de relations de voyages en Italie rédigées entre 1750 et 1850. Ce corpus permet de spécifier doublement les objets de discours traités. D'une part, ils portent sur l'espace, qui n'est pas un objet de discours quelconque mais intervient, en la contraignant, dans l'organisation du discours qui le dit. La relation de voyage, décrivant des parcours, permet d'étudier les potentialités et les effets des verbalisations spatiales, dans des discours qui ne se limitent pas à être des représentations de l'espace mais qui les exploitent pour construire des espaces de représentation.
D'autre part, la relation de voyage déploie des objets de discours qui sont des objets de savoir: elle est un texte qui rapporte un savoir empirique recueilli sur les lieux parcourus, sur lequel se basait jusqu'au XIXe siècle le travail des savants de cabinet en anthropologie et en géographie. Elle peut donc être lue comme un ancêtre du discours en sciences humaines, un terrain où interroger le rôle constitutif de la langue et du discours dans l'élaboration du savoir.
L'analyse porte, en premier lieu, sur la façon dont le texte construit un réseau de repères énonciatifs qui permettent d'ancrer les objets de discours, d'en justifier l'introduction et le développement, de fonder leur véracité et facticité, de construire l'autorité du locuteur en tant que témoin ou expert. En deuxième lieu, est décrite la façon dont les modes de dénomination des objets de discours fonctionnent ou ne fonctionnent pas comme des catégorisations adéquates et conduisent les locuteurs à interroger l'opacité et l'altérité de la langue, ainsi que l'instabilité contextuelle des catégories, variant selon les activités et les énonciateurs. En dernier lieu, est traitée la façon dont les objets de discours ainsi repérés et nommés sont organisés en des configurations ordonnées, posant des problèmes de structuration du discours, résolus par différentes techniques exploitant les figures du parcours (principe de linéarisation de la description) ou de la carte (principe de totalisation).