Conséquences du suicide d'un client sur les professionnels de l'action socio-sanitaire: impact individuel, répercussions sur les pratiques professionnelles et modalités de gestion

Ref. 8642

Ceci est la version 3.0 de ce projet.

Description générale

Période concernée

Période du 01.10.2005 au 31.05.2007

Région géographique

-

Informations géographiques additionnelles

Cantons de Fribourg et Vaud

Résumé

Cette recherche porte sur les conséquences du suicide d'un patient/client sur les professionnels de la santé et du social, ainsi qu'aux stratégies que ces derniers mettent en place pour y faire face. Elle a été élaborée et conçue par la Haute Ecole fribourgeoise de travail social en collaboration avec le partenaire de terrain responsable, le Département de psychiatrie du CHUV (VD). Le risque de perdre un patient/client est quasiment inhérent à la pratique professionnelle de l'action socio-sanitaire avec des personnes souffrant de troubles psychiques ou vivant dans des conditions de vulnérabilité importante (désaffiliation et désinsertion sociale, abus de substances, antécédents suicidaires par exemple). Les réactions, souvent très intenses, peuvent déboucher sur des crises personnelles (sentiments de culpabilité et de honte) et professionnelles profondes (remise en question de ses compétences professionnelles). Si le suicide d'un client engendre une souffrance cliniquement significative chez les professionnels qui l'ont accompagné, les conséquences ne se limitent pas pour autant à la seule sphère individuelle. Des répercussions sont à constater également au niveau du fonctionnement professionnel et institutionnel. Toutefois, ces aspects ne sont que très rarement problématisés et pris en compte par les études scientifiques ou par les pratiques professionnelles et institutionnelles. Rares sont, en effet, les études qui interrogent ces différents niveaux: quelques-unes ont recensé les effets et les implications du suicide d'un patient sur la pratique des professionnels de l'action médico-sanitaire, mais les études se penchant sur les conséquences du suicide et les pratiques engendrées dans le domaine de l'action sociale ou sur le fonctionnement institutionnel sont pratiquement inexistantes; inexistants aussi les études se penchant sur les modalités ou les stratégies de gestion. En Suisse, aucune étude portant sur des populations professionnelles différentes n'a été menée. Cette recherche s'intéresse aux conséquences du suicide d'un patient/client sur quatre catégories de professionnels en contact avec des populations à risque et oeuvrant au sein d'institutions socio-sanitaires: les psychiatres ou médecins, les infirmiers, les assistants sociaux et les éducateurs sociaux. Elle s'interesse également aux démarches que les professionnels mettent en place pour faire face à cet événement ainsi qu'aux ressources qu'ils mobilisent.

Résultats

Les résultats de cette recherche mettent en évidence que le suicide d’un patient/client engendre toute une série de conséquences, tant au niveau individuel (impact émotionnel), que professionnel (impact sur les pratiques professionnelles). Au niveau émotionnel, l’intensité de l’impact s’est révélée être modérée pour la majorité des répondants. Les réactions émotionnelles les plus importantes sont le choc, l’impuissance et la tristesse, alors que parmi les réactions de stress, les symptômes d’intrusion sont nettement plus importants que les symptômes d’évitement ou d’hyperactivité neurovégétative. Les professionnels les plus affectés sont globalement ceux qui ont entretenu une relation proche avec la personne suicidée, ceux qui ont reçu le moins de soutien ainsi que ceux qui étaient les moins âgés. Seule une minorité de professionnels ont ressenti un impact émotionnel élevé. Le suicide a eu également un impact au niveau du vécu professionnel. Globalement, le suicide a engendré, d’une part, une sensibilité accrue, bien que modérée, aux indices du risque suicidaire (au moment du suicide et au moment de l’enquête) et, d’autre part, davantage d’anxiété à travailler avec des personnes suicidaires (au moment du suicide). Ce sont surtout les femmes et les professionnels particulièrement attachés au patient/client et ceux dont le patient/client s’est suicidé au sein de l’institution ou dans ses environs immédiats qui ont été concernés par des réactions plus importantes au niveau du vécu professionnel. Les pratiques professionnelles ont également été infléchies à la suite du suicide par un intérêt plus grand à l’égard de la problématique du suicide, des hospitalisations plus fréquentes de sujets à risque, davantage de précautions dans les prises en charge et davantage de consultations de collègues. Une plus grande sensibilité aux aspects légaux de la pratique a par ailleurs été relevée chez les professionnels porteurs d’une responsabilité particulière dans la prise en charge du patient/client. Ces changements perdurent au moment de l’étude. Tout en étant une expérience bouleversante, le suicide peut également se transformer en une opportunité d’apprentissage et de maturation, tant personnelle que professionnelle, comme l’indiquent les réponses qualitatives des questions semi-ouvertes. Plus des 2/3 des répondants (78%) de cette étude affirment avoir reçu suffisamment de soutien pour faire face au suicide d’un patient/client et sont globalement plutôt satisfaits du soutien reçu. Pendant le premier mois qui suit le suicide, ce soutien est apporté surtout par des personnes appartenant au milieu professionnel (collègues, superviseurs, responsables hiérarchiques). Les professionnels ayant assumé une responsabilité particulière pour le patient/client, ceux proches émotionnellement de ce dernier, ainsi que ceux confrontés au suicide au sein de l’institution ou dans ses environs, ont reçu un soutien plus important tant au niveau de l’intensité que de la variété (diversification des soutiens). Par contre, les professionnels confrontés à un seul suicide ont reçu moins de soutien ainsi qu’un soutien moins diversifié. Ce sont donc les personnes les plus affectées (cf. supra impact émotionnel) qui reçoivent le soutien le plus intense, puisque les mêmes facteurs prédictifs se retrouvent dans les deux cas. Toutefois, presque ¼ des répondants ne s’est pas senti suffisamment soutenu. Interrogés sur les démarches adoptées à la suite du suicide, les professionnels ont affirmé que les démarches les plus courantes sont les contacts avec l’entourage de la personne suicidée et les échanges avec les autres patients/clients. Ces deux démarches sont perçues comme aidantes pour faire face au suicide au niveau personnel. En ce qui concerne les mesures de soutien proposées aux professionnels, les plus fréquentes sont les échanges au sein des équipes et avec les superviseurs ainsi que l’analyse critique du suivi du patient/client. Globalement les professionnels ne se sont pas sentis jugés négativement, tant par leurs collègues, que par leurs supérieurs hiérarchiques ou leur famille.