A l'issue d'un XIXe siècle épris de science, une nuée d'"amis de l'enfance" aux profils contrasté;s s'unissent pour construire un nouveau champ de savoir entièrement dédié à l'éducation. Convaincus que le devenir de la démocratie est lié à la qualité de l'éducation, nombre d'Etats occidentaux dotent alors cette nouvelle science des emblèmes classiques d'un champ disciplinaire: chaires, laboratoires, facultés, revues.
S'inscrivant dans le sillage de ce mouvement international, Genève - au coeur de cet ouvrage - se révèle un véritable creuset des sciences de l'éducation. Revendiquant ce pluriel disciplinaire, pédagogues, philosophes, psychologues, médecins, biologistes, juristes, anthropologues mais aussi parents, syndicalistes, politiciens, philanthropes, mécènes se mobilisent pour développer dès 1912, le "premier temple tout entier voué à la connaissance de l'enfant": l'Institut Rousseau/Ecole des sciences de l'éducation, rattaché à la Faculté des Lettres en 1929, puis hissé au statut d'Institut Interfacultaire en 1948.
Sous l'égide de figures illustres du monde éducatif, les Baudouin, Bovet, Claparède, Descoeudres, Dottrens, Ferrière, des étudiants émanant de toutes les régions du globe s'initient à la fois à la rigueur de la recherche éducationnelle et aux valeurs en vogue dans ces milieux réformistes. L'Institut Rousseau se profile ce faisant dans les années vingt sur l'avant-scène internationale comme capitale de l'Education nouvelle. Durant les "années folles de la pédagogie", cette internationalité se mue certes en internationalisme, au prix d'une confusion entre la discipline et son objet, la science et la militance. Bientôt exsangue, l'Institut doit redéfinir ses priorités: il s'académise et s'officialise sous l'égide de la nouvelle génération, au premier chef Piaget, qui trouve là, dans les sciences de l'éducation, les conditions et ressources pour renouveler la psychologie de l'enfant et du développement, reconfigurant ce faisant fondamentalement l'"Ecole de Genève".
Par-delà son destin particulier, Genève exemplifie une dynamique bien plus ample: l'ouvrage qui résulte de ce projet de recherche fournit ainsi des éléments d'analyse pour cerner les enjeux et tensions qui affectent bien d'autres sciences sociales, elles aussi aux prises avec les pressions sociales, professionnelles, de fait aussi politiques et économiques, dans un contexte où les frontières entre disciplines ne cessent d'évoluer et de se redéfinir, une hybridité susceptible parfois de donner naissance à de nouveaux champs de savoir.
