Concernant le vécu subjectif, les retours reçus via l’application ont permis de constater que l’appréciation des musiques jouées lors des interventions a été globalement élevée dans les trois entreprises. La plus ou moins grande familiarité avec la musique classique des équipes ne semble pas avoir joué de rôle par rapport à cette dimension du vécu subjectif. Par ailleurs, dans toutes les entreprises, le personnel a assimilé les concerts à un moment de « détente » qui permet de prendre de la distance par rapport aux tâches en cours et à l’environnement immédiat. Les interventions musicales ont permis une forme de reprise de soi, telle que définie par Hatzfeld (2002), une opportunité de « réaccéder à une forme d’autonomie dans le cadre contraint du travail », notamment via l’imagination. Ainsi, le concept d’affordance musicale (Tia De Nora, 2003) selon lequel l’auditeur s’approprie la musique selon ses besoins du moment lors d’une écoute individuelle, semble s’appliquer également dans le cadre d’une écoute collective interrompant le travail. Les mini-concerts semblent constituer une proposition ou ressource que les employé·e·s peuvent mobiliser afin de réguler leurs affects et d’agir sur leur mieux-être.
Au niveau social ou collectif, la notion de « partage » a souvent été évoquée par les participant·e·s lors des focus groupes. Ils et elles soulignent que l’écoute collective permet une expérience commune hors tâches professionnelles, ce qui occasionne de nouveaux échanges et permet d’évoquer des expériences personnelles ou des ressentis. Il s’avère que ces discussions ont lieu principalement entre celles et ceux qui se connaissent déjà et qu’elle renforce donc avant tout des relations préexistantes. Ce constat correspond à ce qui figure dans la littérature, à savoir que l’impact d’une écoute collective dépend de la qualité des relations préexistantes entre auditeur·ice·s (Hargreaves & North, 1999 ; Groarke & Hogan, 2015). En résumé, tant la littérature que nos résultats indiquent que l’écoute collective favorise des dynamiques positives intra-équipes et peut ainsi contribuer donc au bien-être de la collectivité.
Concernant les conditions et facteurs favorisant l’intégration des interventions musicales dans le quotidien des entreprises, il s’est avéré difficile de faire la part des choses entre le discours entrepreneurial (directeurs ou directrices, responsables RH), le vécu personnel (collaboratrices et collaborateurs) et une certaine réalité des faits (observations des membres de l’équipe de recherche). Par ailleurs, lors des focus groupes réalisés dans le cadre contraint de l’entreprise, il était évident que les employé·e·s, (inscrits dans des dynamiques de pouvoir au sein de l’entreprise), s’exprimaient avec prudence. Malgré ces limites, certaines spécificités propres aux contextes et environnements de travail facilitant l’adoption d’une nouvelle pratique de GRH comme l’écoute musicale collective au sein des entreprises ont émergé. Si les employé·e·s des trois entreprises se sont adapté·e·s et ont adapté leur travail pour assister aux concerts, cette adaptation semble avoir été plus facile pour celles et ceux qui ont une certaine autonomie dans l’organisation de leur temps et qui effectuent des tâches administratives, commerciales, créatives, ou informatiques. Celles et ceux qui effectuent des tâches techniques et manuelles et qui ont une gestion du temps moins souple ont ressenti un certain stress lié au fait de devoir interrompre leur travail. Un autre élément de contexte concerne l’emplacement du piano, l’idéal étant qu’il puisse rester sur place toute la semaine dans un espace dédié et ne doive pas être déplacé de manière hebdomadaire avant les concerts. Finalement, il semblerait qu’assister aux concerts dans un espace déconnecté des postes de travail usuels encourage l’adoption des interventions musicales et l’effet de coupure et reprise de soi qu’elles permettent.