Coopération internationale et renouveau de l'islam au Burkina Faso La bipolarisation du monde entre un " Nous " et les " Autres " selon la ligne de partage de l'appartenance à l'Occident ou au monde islamique a depuis des décennies marqué les relations internationales, mais est restée l'enfant pauvre de la réflexion sur la coopération internationale (plus particulièrement des pays de l'OCDE). Ce n'est que récemment que cette dernière s'intéresse aux acteurs islamiques. Cet intérêt se manifeste de deux façons. D'une part, les pays de l'OCDE voient s'ériger en bailleurs de fond un certain nombre de pays arabes qui étendent leur aire d'influence, et, d'autre part, la coopération internationale de signature occidentale voient en certains acteurs islamiques sur le terrain un obstacle pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement, notamment ceux qui concernent l'égalité entre femmes et hommes. Dans ce contexte, le Ministère des Affaires étrangères néerlandais a mandaté une recherche dans le double but d'accroître les connaissances du monde islamique et de pouvoir renforcer le dialogue. Pourquoi parler d'un renouveau islamique au Burkina Faso, Etat laïc qui depuis son Indépendance est gouverné par une élite politique issues des écoles de la mission catholique? Et en quoi les acteurs islamiques - au nombre d'environ 62% de la population actuelle -jouissent-ils d'un intérêt accru de la coopération internationale? Tout d'abord, ces questions se situent au centre des débats actuels sur le réagencement du monde international, aussi bien en ce qui concerne un nouvel ordre économique que géopolitique. Le Burkina Faso est un cas très intéressant vu que les musulmans y sont numériquement majoritaires, tandis qu'ils ont un statut de "minoritaires" dans les processus politiques et sociaux. Cette marginalisation est tributaire de l'élaboration de stratégies de "visibilisation" dénominées renouveau, revitalisation, remoralisation et parfois même radicalisation. L'émergence du renouveau islamique sur la scène publique et politique au Burkina Faso doit se comprendre à la lumière de l'expansion de l'islam dans la sous-région et la place qu'il a eu pendant la colonisation. Les Français y ont introduit le principe de la laïcité, et ont relégué le religieux dans la sphère privée (y compris les écoles missionnaires, coraniques et les hospices à caractère caritatif). Avec les régimes unipartites de l'après-Indépendance, il était relativement facile pour le gouvernement de contenir les aspirations au pouvoir des acteurs religieux. Le pouvoir central reconnaissait une ou deux Eglises ou communautés musulmanes/mosquées, et empêchait ainsi la prolifération d'autres associations. Deux phénomènes ont par la suite permis l'émergence d'associations en parallèle de l'Etat. D'une part, l'émergence de la société civile, suite aux pressions internationales dans le domaine de la bonne gouvernance et de l'instauration de la démocratie. D'autre part, avec l'adhésion aux politiques néolibérales de commerce et de dérégulation de l'Etat, certaines strates de la population (urbaine) ont vu leurs conditions de vie matérielles se détériorer. Elles se sont organisées pour répondre aux besoins sociaux. Le renouveau islamique au Burkina Faso se réfère donc à l'émergence de ces acteurs: nouveaux oulémas et imams, jeunes cadres, jeunes intellectuels, plus particulièrement arabisants, et femmes instruites, à côté des tendances musulmanes bien établies (Communauté musulmane, Mouvement sunnite, la Tidjaniyya). Les repères séculiers de l'Etat n'ont pas répondu aux attentes des nouvelles générations. Celles-ci furent amenées à inventer de nouveaux repères de solidarité et de production de sens. Dans le domaine privé-religieux, ces associations islamiques investissent surtout dans le socio-culturel et l'instruction islamique adaptée aux réalités actuelles (Association des éléves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB), le Centre d'étude, de recherche et de formation islamique (CERFI) etc.). De plus, après le démantèlement des blocs est-ouest, de nouveaux bailleurs de fond - Arabie saoudite, Libye, Koweït et Qatar e.a. - investissent dans des projets infrastructuraux de développement (y compris la construction de mosquées et d'écoles franco-arabes). Nous avons pu mettre au jour cette émergence d'associations islamiques (avec leurs rivalités). Ce sont avant tout des jeunes et des femmes qui participent à ces actions sociales d'intérêt collectif. Politiquement cependant, l'Etat burkinabè n'est pas près de perdre de son influence dans l'espace public. La création de la Fédération des associations islamiques du Burkina Faso (FAIB) en décembre 2005, organisation faîtière des tendances islamiques les plus importantes, sous la présidence du charismatique et influent homme d'affaires octogénaire al-Hadj Oumarou Kanazoé, donne pour le moment un interlocuteur allié au pouvoir et cache des clivages au sein de la communauté musulmane, notamment ceux entre différentes tendances et entre générations. Quant à la coopération internationale de signature occidentale, au lieu de se laisser berner par la bipolarisation du monde, elle commence à considérer à bon escient les initiatives dans le social et l'humanitaire des acteurs islamiques locaux.